L'Agriculteur de l'Aisne 23 mars 2010 a 15h38 | Par Gaëtane Trichet

«Pour préserver la planète, préservons les agriculteurs»

Les adhérents de Céréna se sont retrouvés pour leur réunion prospective avec pour thème «agriculture écologiquement productive : fantasme ou réalité ?». Sylvie Brunel(*) n’a pas mâché ses mots pour expliquer que les agriculteurs sont dans une situation désespérée et qu’il est grand temps de les aider.

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Sylvie Brunel a rassuré les agriculteurs présents
Sylvie Brunel a rassuré les agriculteurs présents - © l'agriculteur de l'aisne

Sylvie Brunel est outrée. Outrée de voir les agriculteurs lésés, abandonnés, ne pouvant plus vivre de leur métier. Des agriculteurs, «qui après avoir été des sauveurs de la Nation et de l’Europe, sont considérés aujourd’hui comme des pollueurs, des empoisonneurs de l’eau, des saccageurs de la nature… Alors que la FAO annonce qu’il faut continuer à produire plus que jamais pour faire face au défi de la faim dans le monde, les agriculteurs des pays riches traversent la pire crise qu’ils connaissent depuis une génération. C’est un premier paradoxe. Deuxièmement, alors que les différents pays dans le Monde commencent enfin à comprendre qu’il faut soutenir l’agriculture et qu’on ne peut pas mener une politique alimentaire sans une politique agricole digne de ce nom, l’Europe démantèle ses protections et dérégule à tout va. Difficile à comprendre ! Enfin, troisième paradoxe : alors que les producteurs agricoles vont devoir faire face à des défis colossaux au cours des prochaines années, on leur demande de répondre à un grand nombre d’exigences environnementales de plus en plus lourdes. Ils sont prêts mais ils voudraient qu’on les soutienne». Les agriculteurs sont conscients de la nécessité de mettre en oeuvre des techniques qui concilient environne- ment et compétitivité. De larges efforts ont déjà été réalisés (réduction des intrants, bandes enherbées,…) et selon l’intervenante, ils ont besoin d’être reconnus et encouragés pour ce qu’ils accomplissent et non d’être accusés régulièrement.

 

Une agriculture bien menée est créatrice de biodiversité

Le discours tenu pendant les 50 premières années d’après-guerre «il faut produire plus», a laissé place aujourd’hui à une autre vision, celle où l’on dit «nous produisons trop et il faut protéger la planète». Il y a eu un glissement sémantique entre la production qualifiée de productiviste vers la protection de l'environnement qui semble avoir pris le pas. Les discours d’ailleurs sont très alarmistes s’inquiète Sylvie Brunel. Certains disent «la capacité de charges de la planète a été dépassée, l’empreinte écologique de nos sociétés est trop élevée, nous n’avons pas de planète de rechange...». «Certains accusent l’agriculture et opposent deux systèmes de production en valorisant le bio, les petits producteurs, les circuits courts… contre l’agriculture productive, les firmes agro-alimentaires, les OGM, toutes les techniques de transformations modernes»… expliquait Sylvie Brunel. «Cette vision manichéenne est martelée à la fois par les médias, les organisations environnementales qui ont une vision du monde frappée par la conception du développement durable qui consiste à concilier la production, la répartition (entre nord et sud) et l’environnement. A cette équation qui se pose à nous aujourd’hui, vous pouvez apporter deux réponses totalement opposées. Certes, on ne peut pas revenir en arrière parce que la population mondiale a doublé depuis 1960 et continue de croître. Nous avons des réserves de terre qui sont encore considérables. Sur les 14,3 milliards de terres arables sur la Terre, seul 1,5 milliard est cultivé. Nous sommes très loin d’utiliser au maximum l’espace dont nous disposons», qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Amérique latine, de la Russie ou de l’Ukraine. Pour Sylvie Brunel, il vaudrait mieux cultiver que de figer ces espaces. «Dans ce calcul de l’empreinte écologique, un hectare cultivé piège plus de carbone qu’une forêt. Bien sûr cela ne veut pas dire qu’il faille mettre en cultures toutes les forêts. Mais une forêt à maturité ne séquestre plus le carbone. Il devient de plus en plus urgent de comprendre qu’une agriculture intelligemment menée est créatrice de biodiversité et piège les gaz à effets de serre».

Ne pas opposer population et ressources

«Ceux qui disent que nous sommes trop nombreux et qu’il y a une course sans fin entre la population et les ressources se trompent» appuie Sylvie Brunel. «Dans nos pays, la révolution agricole a permis de nourrir des populations croissantes, d’augmenter l’espérance de vie et d’améliorer les conditions de vie. Cela veut dire que vous, producteurs agricoles, vous allez avoir un défi considérable à relever : nourrir cette population qui va s’accroître très rapidement dans un délai très bref. Chaque milliard d’individus en plus sur la terre, ce sont 350 millions de tonnes de céréales en plus» encourageait-elle, expliquant que l’élévation du niveau de vie entraîne non seulement une transition démographique, mais aussi une transition alimentaire. «Les personnes veulent manger d’autres aliments, des produits transformés, des viandes, des oeufs, du lait… Et pour cela, il faut produire beaucoup plus de céréales que la simple augmentation démographique car il faut passer par le biais de l’élevage pour produire de la viande. Aujourd’hui, on montre du doigt les bovins comme s’ils étaient les premiers coupables du réchauffement climatique et des problèmes de pollution. Mais il faut arrêter ! On a besoin de l’élevage. Le principal pays qui a un troupeau bovin est l’Inde avec plus de 190 millions de boeufs alors qu’elle ne consomme que très peu de vaches puisqu’elle est à 90 % quasiment végétarienne ! Les bovins c’est aussi le lait, le fromage… La vision complètement réductrice de l’élevage pernicieux pour la planète, est une vision qui ne tient pas compte des besoins alimentaires, du fait que les êtres humains ont besoin et envie d’une alimentation diversifiée».

La sécurité alimentaire passe par les échanges mondiaux

Une population dont le niveau de vie s’élève, réclame des productions agricoles qu’elle ne peut pas produire soit pour des raisons climatiques, soit agronomiques… «Nous, nous sommes obligés d’acheter le café, le thé, le coton, le chocolat... La FAO explique qu’il serait mieux que les paysans du sud se réorientent vers des cultures vivrières». Pour Sylvie Brunel, la sécurité alimentaire, ce sont les échanges. «Si vous incitez les agriculteurs des pays en voie de développement à produire plus, à élever leur niveau de vie en leur garantissant des débouchés, ils deviennent alors des partenaires pour vous. Si vous transformez ce milliard de gens qui souffrent de la faim en consommateurs, il y aura pour l’ensemble des paysanneries du monde des débouchés dans le domaine alimentaire et non alimentaire. La mondialisation, c’est aussi la grande diversité des goûts et des traditions alimentaires. Et au lieu de voir cela comme un drame pour l’humanité, il faut voir cela comme une opportunité au contraire».

Le défi : avoir une agriculture écologiquement productive

«La grande chance de l’agriculture, c’est qu’elle détient les clés du développement durable. Elle n’est pas le problème du développement du-rable, au contraire elle pourrait en être la solution sur plusieurs points» a insisté Sylvie Brunel.

Premièrement, avec les utilisations non alimentaires : «certains crient au scandale, mais dans la mesure où les terres agricoles ne manquent pas, est le problème ?». En ce qui concerne la chimie et l’énergie, les utilisations non alimentaires des produits agricoles sont énormes. Il existe plus de 1500 applications avec le maïs comme les emballages, les colles, les carburants… qui remplacent les énergies fossiles, citait-elle en exemple.

Par ailleurs, l’agriculture répond à la lutte contre le changement climatique. «Il y a toujours eu des oscillations climatiques planétaires sur lesquelles l’être humain n’avait qu’une influence très marginale». La responsabilité de l’homme doit être remise en perspective car le réchauffement actuel a commencé au milieu du 19ème siècle avant la révolution industrielle. C’est à ce moment que les glaciers ont commencé à reculer selon l’intervenante. «C’est même une chance puisque ces fontes ont permis de libérer les terres gelées devenues arables, d’allonger la durée pendant laquelle on pouvait cultiver les plantes…».

Désormais, l’humanité est engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique et quoiqu’on en pense on ne peut pas aller à l’inverse de ce mouvement de l’histoire. Cependant, il existe deux stratégies de réponse selon la géographe : celle de l’atténuation ou celle de l’adaptation. La stratégie de l’atténuation c’est-à-dire essayer de limiter les rejets de gaz à effet de serre, celle retenue par les pays riches et capitalistes pour vendre leurs nouvelles technologies, conquérir des marchés… une grande compétition capitaliste sur ce qu’on appelle le marché de la croissance verte. «Vous avez une opportunité à saisir dans cette hypothèse. Parce que si vous vous posez comme séquestreur de carbone, vous allez changer votre image dans la vision du citoyen. On va vous voir comme des alliés de ce combat planétaire».

La deuxième stratégie c’est l’adaptation. Autrement dit, laissez venir et se rappeler que depuis des milliers d’années, les humains se sont adaptés à des milieux difficiles (froid, sec, avec des variations climatiques) et que finalement les seuls à avoir trouver des réponses à tous ces défis imposés par la nature, étaient issus de sociétés agraires. «Partout dans le monde, la diversité des territoires et l’histoire des paysanneries, et bien c’est l’histoire d’un monde qui a su être le médiateur entre l’être humain et la nature. La nature n’existe pas indépendamment de ce que l’homme fait. C’est l’être humain qui est créateur de biodiversité, ce sont les agriculteurs qui entretiennent le territoire. Chaque fois que vous laissez un espace livré à lui-même, que se passe-t-il ? Il est colonisé par des plantes ou des animaux invasifs et finalement au bilan, vous avez des taillis, des ronces, vous avez des espaces où vous ne pénétrez plus. Pour qu’un espace soit accessible et pour qu’il y ait de la biodiversité et bien il faut qu’il y ait des sociétaires agraires fortes et protégées. Pour retrouver cette nature idéalisée , et bien c’est vous, les agriculteurs, qui en détenez la clé !».

 

Le monde agricole, meilleur allié du développement durable

Pour Sylvie Brunel, c’est sûr, le monde agricole est le meilleur allié du développement durable et des défis alimentaires de demain. «Il faut arrêter les prévisions catastrophiques, les visions complètement négatives. Finalement, les choses vont plutôt mieux sur le plan de l’espérance de vie, sur le plan de la lutte contre la pauvreté. Et aujourd’hui, si l’on sacrifie les agriculteurs, si on laisse faire les processus de concentration, si on abandonne tout ce qui fait la stabilité des cours, tout ce qui fait l’organisation du monde paysan, sa protection face aux aléas du marché, on s’achemine vers un monde où il n’y aura plus de paysan. Et si il n’y a plus de paysan, c’est là que la planète courra à la faillite, c’est la que nous sombrerons tous, c’est là effectivement qu’il n’y aura pas de planète de rechange» a-t-elle conclu.

Avec ce regard optimiste et cette détermination à défendre les agriculteurs, Sylvie Brunel a été fortement applaudi. Reste à tenir ce discours auprès du grand public et des décideurs. Elle s’est d’ailleurs exprimé de la même manière dans un article paru dans le Monde le 10 février dernier.

 

(*) - Sylvie Brunel est géographe, économiste, écrivain. Ancienne présidente de l’ONG Action contre la faim, elle est professeur à la Sorbonne, responsable du master mondialisation et développement durable.

 

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