L'Agriculteur de l'Aisne 10 mars 2011 a 11h41 | Par Gaëtane Trichet

Conjoncture - Inclure la volatilité dans la gestion de l’exploitation

Les adhérents de CER France Nord-Est-Ile-de-France se sont retrouvés le 8 février à Chauny pour leur colloque annuel autour Jean-François Capelle, président, et Eric Verjot, directeur.

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De gauche à droite : Gaël Peslerbe, Cyril Moine, Pierre Duclos, Jean-François Capelle, Benoît Labouille, Thierry Lemaître.
De gauche à droite : Gaël Peslerbe, Cyril Moine, Pierre Duclos, Jean-François Capelle, Benoît Labouille, Thierry Lemaître. - © l'agriculteur de l'aisne

L a volatilité des marchés : risques et opportunités pour les agriculteurs, quelles alternatives pour les éleveurs ?» tel était le thème du colloque. «La suppression progressive des mécanismes régulateurs des marchés, la mondialisation croissante des échanges, l’augmentation continue de la consommation des céréales face aux aléas de la production, la financiarisation accrue de l’économie sont autant de facteurs qui ont contribué depuis 2007, à rendre extrêmement volatils la plupart des grands marchés agricoles. Depuis 4 ans, le prix du blé a varié de 100 à 300 euros, celui du colza de 180 euros à plus de 500 euros, le lait de plus 50 % sans même parler de celui des engrais» a expliqué Jean-François Capelle. Alors «la volatilité est-elle une opportunité ? Sûrement pour certains céréaliers qui ont pu vendre au sommet de la vague. Mais pas pour ceux qui plus nombreux, ont vendu soit trop tôt, soit trop tard. Et sûrement pas pour les fabricants d’aliments du bétail, ni pour les éleveurs. Encore que les éleveurs de porcs confrontés à des prix très bas depuis 4 ans, apprécieraient un peu de volatilité à la hausse de leur prix de vente. On le voit, à court terme au moins, les intérêts des uns ne sont pas forcément ceux des autres. A moyen terme pourtant, la prospérité des céréaliers passent par celle des éleveurs qui sont leurs principaux clients. Toujours est-il que la volatilité existe et qu’il nous faut tous apprendre à vivre avec» continuait le président, lançant ainsi le débat.

Vers une volatilité durable
Cette volatilité est-elle durable ? «Oui», répondait sans hésitation, Benoît Labouille, directeur d’Offre et Demandes agricoles. D’autant qu’elle a toujours existé mais à des degrés moindres. Depuis 1998, la volatilité du marché du blé variait d’une vingtaine d’euros/tonne chaque année jusqu’en 2003, où là, elle s’est amplifiée avec les écarts importants que l’on connait. «Certains on dit à l’époque que ce phénomène était du aux sécheresses en Europe. 2003 n’était pas une situation exceptionnelle mais bien les prémices de l’augmentation de la volatilité du prix du blé aussi bien à la hausse qu’à la baisse pouvant varier du simple ou double voire au triple». Certes les conditions climatiques dans les pays producteurs y sont pour quelque chose, mais c’est surtout les fondamentaux de l’offre et de la demande qui influent sur le prix. Cette volatilité se retrouve sur d’autres matières premières comme le maïs, le colza, les tourteaux ou encore les engrais.
Pas de protection sur un marché libéralisé, pas de stocks publics sont aussi des facteurs qui influent sur le prix. La financiarisation et l’augmentation du nombre d’intervenants dans les marchés ont tendance à accélérer le mouvement.
Pour Benoit Labouille, une chose est sûre : face à l’augmentation de la population et ses besoins, il sera nécessaire de produire davantage. «Malgré les bonnes intentions du G20 et sa volonté politique de vouloir réguler les prix et avoir une transparence des stocks, la volatilité sera durable». Durable car personne ne pourra empêcher un chef d’Etat de fermer ses exportations de céréales pour nourrir ses ressortissants. «Les agriculteurs, les membres de filières, les organismes stockeurs, les industriels de l’agro-alimentaire, n’ont pas d’autres choix que d’adapter leurs méthodes de travail pour gérer cette volatilité».

Les fonds algorithmiques dérèglent le marché du sucre
Cyril Moine, directeur commercial du groupe Sucres et Denrées, est revenu sur le marché du sucre en prenant en exemple le marché à terme de New York. «De 2000 à 2007, les principaux intervenants du marché étaient des professionnels (d’un côté des producteurs, de l’autre des acheteurs, principalement des raffineurs, avec des maisons de trade au milieu pour assurer un minimum de volatilité)». Sur cette période, les fonds spéculatifs étaient relativement absents des marchés du secteur agro-alimentaire et le marché du sucre était en surplus dont les prix variaient peu. «A partir de 2007, il y a eu une augmentation des cours du sucre lié à un déficit engendrant une tension sur les marchés». Les spéculateurs ont fait leur apparition. Ils sont entrés massivement dans le marché avec d’énormes moyens financiers et ont joué sur les fondamentaux offre-demande. «Ils observent la situation dans les pays producteurs et regarde la consommation dans les pays importateurs». Etant donnée l’importance des prises de position par ces fonds, les mouvements et la volatilité ont été fortement accrus et le volume traité par jour sur le marché à terme de New York a augmenté considérablement. En 2009, des fonds algorithmiques sont également entrés sur les marchés. Contrairement aux fonds qui regardent la réalité du marché physique du sucre, ils ont de nouvelles stratégies entièrement informatisées sans même de vision particulière du sucre. Ce sont des programmes informatiques qui achètent et vendent des contrats sucre dans la même journée, voire dans la même minute entraînant des variations de prix très importantes. «Il n’y a aucune prédiction possible pour les acteurs du marché traditionnel qui rencontrent des problèmes en termes de fixation de prix. Auparavant, les variations se comptaient en cents, maintenant elles peuvent atteindre 40 dollars. Les décisions d’achat doivent donc être prises plus rapidement et elles impliquent désormais de gros risques» annonçait Cyril Moine, soulignant que ces fonds algorithmiques ne sont pas soumis aux mêmes règles de marché que les intervenants classiques. «Quand vous achetez un contrat sur le marché du sucre, vous ne payez que 10 % de sa valeur et quand le marché baisse si vous avez acheté ou monte si vous avez vendu, vous payez la différence. Par la rapidité de leurs transactions, ces fonds là, ne sont pas soumis aux appels de marge».
Selon Cyril Moine, la volatilité est une bonne chose. La spéculation apporte la liquidité et le volume nécessaires au bon fonctionnement du marché du sucre. «Oui à la volatilité quand elle entraîne un fonctionnement normal du marché à terme avec une hausse des prix pour un meilleur profit pour les producteurs. En revanche, quand cette volatilité n‘est plus gérable à cause de fonds algorithmiques, il y a un vrai dysfonctionnement qui rend le marché à terme beaucoup plus compliqué voire dans certains cas impossibles à gérer».

Les engagements vers les pays tiers dépassent les prévisions
Pierre Duclos, directeur trading céréales de In Vivo, a apporté son éclairage sur la situation des productions, des consommations, des échanges et des stocks mondiaux. Univers complexe dominé par la volatilité, la globalisation et la financiarisation rendant les prévisions de marché difficiles. L’envolée des cours fin juin en est l’exemple. «Les incidents climatiques et les prises de positions politiques ou économiques font basculer les marchés».
Pierre Duclos est revenu sur les engagements envers les pays tiers qui dépassent les prévisions. «Aujourd'hui, nous avons déjà vendu 10,5 millions de tonnes sur un potentiel de 12 pour les exportations françaises». Cette situation sans précédent s’explique par une demande forte des pays d’Afrique, une parité euro/dollar qui renforce la compétitivité des blés européens, une consommation européenne peu couverte et un engagement des vendeurs au-delà de 80 %. Autant de facteurs qui font que les courbes poursuivent leur tendance haussière. «La France a un potentiel d’exportation de 5,5 Mt vers l’Algérie, le Maroc, l’Afrique noire, le Yémen, et l’Égypte. Si on exporte cette quantité, on risque de créer un déficit en France de l’ordre de 3 Mt car les prévisions annoncent une production de 12,7 Mt en 2010-2011». D’autant que d’autres demandes doivent encore arriver d’Europe et les producteurs ont déjà vendu quelque 80 % de leur future récolte. «Il faut renchérir notre prix afin de sélectionner les destinations les plus captives et ramener le volume à exporter vers les 11 millions de tonnes».
Pierre Duclos a expliqué le métier du trading en insistant sur l’anticipation des marchés. «Nous devons mettre en place des règles du jeu qui permettent de prendre les risques assortis à notre capacité financière et pouvoir nous positionner correctement sur les marchés». Les paramètres qui font varier les cours (l’analyse fondamentale et technique, l’environnement économique, la connaissance technique des marchés, l’appréhension des produits, la qualité, leur positionnement relatif sur les différents sites géographiques, la conjoncture du frêt, les éléments adjacents des financiers, les facteurs politiques et climatiques, la fiabilité du client…), sont également à prendre en compte dans les risques.

Travailler ensemble
Les aliments du bétail ont également subi de plein fouet la volatilité des cours de céréales. Le manque de compétitivité alourdit encore la facture dans les exploitations qui doivent répondre à des enjeux environnementaux que n’ont pas forcément leurs homologues européens. Pour Gaël Peslerbe, directeur général d’Ucalpi et directeur général délégué Novial, la contractualisation semble une bonne solution tout comme la régulation.
«Ce contexte nous amène à réfléchir différemment, à se regrouper. On commence à parler de coconstruction avec les éleveurs qui le souhaitent pour une politique d’achats». Selon l’intervenant, la contractualisation fonctionnera si tous les acteurs sont impliqués, jusqu’aux distributeurs.
Gaël Peslerbe a assuré que la communication devait faire partie du paysage. «Vous avez un métier spécifique avec des gains de productivité certes, mais aussi avec un certain professionnalisme. Vous avez assumé toutes les règlementations imposées. Tout cela à un coût que vous êtes les seuls à assumer. Faites le savoir !».


Les résultats d’exploitation liés à la volatilité
Thierry Lemaître, responsable conseil économique chez CER France NEIDF, a illustré les propos des intervenants avec des courbes spécifiques aux résultats des exploitations axonaises qui ont ressenti les effets de la volatilité. Les cours en général plutôt stables jusqu’en 2005-2006, ont connu des hausses comme des baisses tranchées les années suivantes. Ce jeu de yoyo impacte directement les entreprises agricoles. Jean-François Capelle a émis quelques suggestions pour faire face à la volatilité en insistant sur la nécessité de connaître son prix de revient. Diversification, contractualisation, développement du stockage à la ferme, diminution des charges de mécanisation, sont des possibilités selon lui, tout comme l’idée de mettre en place un système qui permettrait d’épargner les bonnes années en franchise d’impôt et de cotisations sociales pour pouvoir disposer des sommes ainsi mises de côté lors des années plus difficiles. C'est le principe du plan d'épargne Investissement qu'il appelle de ses voeux. «Ce PEI pourrait se substituer à la déduction pour investissement surtout utilisée pour défiscaliser et à la déduction pour aléa trop compliquée à mettre en oeuvre. Le PEI est un véritable mécanisme d'épargne qui pourrait être utilisé soit pour renforcer les fonds propres des exploitations, soit pour investir à l'intérieur de l'exploitation ou en amont et en aval. Dans une période ou la volatilité règne en maître, financer l'intégralité de ses investissements par l'emprunt équivaut à tirer une traite sur les résultats des années futures qui pourraient s'avérer très variables. Préfinancer une partie de ses investissements grâce au PEI rendrait nos exploitations moins fragiles».

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